mercredi 20 septembre 2017

Lettre à Béatrix... silence et mot.

Tu me dis, Béatrix, que je dois revenir à ces silences et à tous ces mots, les rendre à l'écriture et, surtout, à moi. Me rendre à moi. Me ré introduire dans mon histoire, tenter d'écrire ce monde flou d'une écriture et d'une parole qui seraient juste le pendant d'un silence.
À chaque mot répond un silence. Et à chaque silence s'invente un mot. Un seul. Celui d'une absence, d'un vide de la parole, une terre où s'opposeraient le dire et le non dire, le parler et le non parler.
N'entendre qu'un silence et n'écrire qu'un mot...
Il y a le silence blanc, celui de l'âme qui se dépose et qui rend tout au rien, c'est à dire à l'immense. En ce silence des infinis la parole n'a plus besoin d'être, le mot n'est que le souvenir lointain d'une déchirure.
Et il y a le silence des pierres, le silence comme un silex qui oppose un mot après l'autre et rend toute écriture vaine, stérile, douloureuse, impossible. Comment dessiner un alphabet de ce qui devrait être dit quand ne répond aucun silence? Pour qu'un silence vive il doit se faire, s'accepter dans une continuité qui est le mot, tous les mots réunis en un seul. Dis moi comment dessiner cet alphabet quand je suis repliée sur moi, incapable de voler en mots des silences? Je n'ai pas appris à voler. J'ai appris à apprendre à voler. J'ai appris à parler et à écrire. Tu le sais toi que je n'ai que ça, les mots accompagnés de leurs doubles, les silences. Et que, parfois, j'étouffe, je crie, j'ai envie de briser les choses, de trouver le chemin d'une paix qui me rendrait à ma propre histoire... Et tu sais alors les silences qui écoutent et qui remettent les mots en eux.
 Je ne sais pas écrire dans le silence des pierres, ce silence qui râpe la langue, pare les choses d'aspérités. Je ne sais pas écrire dans la non couleur d'un silence qui éteint le cerveau et ne ramène qu'à ce corps en boule, pétrifié de douleur, englouti dans la recherche de quelque chose qui pourrait ressembler un tant soit peu à ce qui me fait, ce qui me rend, ce qui me partage et ce qui me définit.
N'entendre qu'un mot et n'écrire qu'un silence...
N'écrire qu'en silence, explosée, incapable de passer la frontière, réduite à ne se contenter que d'un apaisement factice. Et l'écriture qui s'en va. Elle ne peut que s'en aller. Elle n'est plus silence. Elle est pierre. Je suis pierre. Je suis rage. Je suis colère. Je suis tellement au fond de moi que je n'entends que le bavardage de tous ces silences qui crucifient en moi tout mot.
Est-ce cela la folie, tous ces mots qui ont oublié leurs silences? Et qui ne répondent plus, partis ailleurs, brûlés, atrophiés?
S'empoigner, empoigner cette écriture qui n'est plus que perte de la parole... Et si la parole s'en est allée, que devient le mot? Peut-on écrire quand on ne parle plus? Peut-on écrire quand on n'est plus que silences? Béatrix, Béatrix...
C'est sûrement cela mourir, c'est cela : perdre le mot et son silence et n'être plus que vrai silence, le seul...
J'aurais aimé que les mots ne soient que l'apparence des choses, facilités simples; un objet ou un concept ne serait que la charge que l'on y met, la perception que l'on en a, la manière d'être ému par une couleur, un sentiment... Et dès qu'on l'aurait nommé, nom et mot, il faudrait effacer le mot qui représenterait juste le regard et rendre l'objet à son silence. Et ré inventer à l'infini un abécédaire, mot après mot, silence après silence.
Je hais les silences. J'aime les silences. Au milieu je suis la pierre, le désert, l'impuissance parfois, la plongée dans l'abîme. Pierre, désert, silex, caverne.
Un jour on perd la parole et on devient silence en lequel les mots ne savent plus où aller. Ils tapent, ils tapent. Ils s'expulsent écriture.
J'écris parce que je suis muette. J'écris parce qu'à chaque silence répond un mot. Un mot que j'oblige à monter, monter.
Je suis muette parce que j'écris. Je suis muette... Silence et mot.
S'inscrire sur un mur invisible, s'y crucifier, s'y déchirer. Puis rendre à chaque morceau de moi un silence et un mot. Obliger que le corps ne soit plus pour atteindre une forme de paix. Me souvenir de la femme que je suis, celle que l'on ne voit pas, celle que l'on n'entend pas, celle qui n'offre aux autres que des bribes parcellaires.
Empêcher de devenir le trophée accroché au mur. Rendre la femme que je suis à un silence et à un mot. Taire la petite fille qui mendie les mots pour s'en faire une robe, une histoire qui la protégerait de tout ce qui fait si mal. Taire la petite fille qui tait sa parole.
Et taire la parole qui tait la petite fille. Taire la parole qui tait la femme. Ne devenir qu'un mot pour répondre à un silence, oser le grand saut, le mutisme. Seul espace de liberté et de douleur aussi, mais douleur qui renvoie les autres, ceux qui sont autour, à une simple virgule oubliée.
Je parle tellement fort en moi que je deviens silences à l'extérieur. Et je parle, je parle, je parle pour oublier, pour vaincre les silences des autres. Ont-ils oublié la parole? Ne savent-ils plus parler, parler vraiment? N'ont-ils à n'offrir que ces artificielles conversations, ces semblants de profondeurs,  ces mots lancés comme une aumône? Quand ont-ils perdu le lien de la parole? En devenant orphelin des mots et des silences?
Je suis muette de tous mes silences, de tous mes mots, pour refuser le faux silence imposé. Je suis blessure de tant de silences, les mauvais, ceux qui tuent, ceux qui dépècent, ceux qui rayent tout et vous disent que vous n'êtes qu'un non mot, une non matière, une rivière artificielle amenée à s'assécher. La parole parcimonieuse. Le silence avare.
Un jour, peut-être, j'oserai me dépouiller de ce besoin d'un accompagnement de mon écriture, du mot et du silence. Je sais qu'il me faudra aller encore plus loin, plus profond, là où tout est liquide. Oser perdre le regard et tous mes sens.
M'abandonner, lâcher prise, ne rien retenir, ne rien posséder, ne rien supporter.
Seule, absolue, seule...
Et retrouver le mot et son silence. Celui qui rend tout doux, qui arrondit l'univers.
Ce sera ma mort, ce silence des infinis. Au bout de la peur s'éveille sa jumelle, la paix. Silence / Mot.
Ce mot des infinis, ce mot infini rendu au silence infini.
Mot, silence, silence, mot.
Une écriture.
Moi.

Mariem mint DERWICH








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