jeudi 28 février 2019

Conte d'une nuit bleue...













Un seul murmure sur le seuil de ma mémoire

Le soleil se couche
la nuit s'en vient
là où ta voix
lie la bruyère et l'eau
ma peau et le vent
le bleu et le blanc
la roche et l'algue
tes yeux à mes mains
ma bouche à la musique
et mon corps devenu voiles

Simplicité du mot
et toi qui dors dans le soleil
- l'herbe voyage
dans le sel de la mer -

Un seul murmure
ma maison bruisse
pas et bois et étoiles
elle attend
le mot, le mot
le bleu du mot
et l'odeur du café le matin

Tu déposes ton iris en un livre
- le chat est entré
tu ne l'as pas vu -
mot, mot
mot bleu

Sur le seuil de ma mémoire
une valise se referme
habits éparpillés
je suis le chemin de sable
il mène à ton sommeil
petit poucet
- petit poucet mon coeur -
le bleu du mot
le bleu de la mer

je pose à ton front
les lettres de mon nom
je sème
une virgule, un point, une parenthèse
un parfum
une nuit sur ton épaule
allongée
et le bleu du mot
le bleu de toi

Tu soupires en ta nuit
une lumière balbutie 
des histoires de bateaux
- je t'écoute, je t'écoute,
en mes doigts sur ta peau je t'écoute -

Tu soupires en ta nuit
enfant, homme
bleu de moi
bleu de nous
effeuillé en un conte pour partir

N'ouvre pas les yeux
garde moi derrière tes paupières
sur le seuil de ma mémoire
dans le bleu de là bas
le bleu de là bas

Les choses retrouvent leur place
bleu de nuit
bleu de ciel

et je navigue sur tes paupières
- Je suis là -


Mariem mint DERWICH 







mardi 26 février 2019

Diagonale du silence

Diagonale du silence

Juste le vent
juste le...

Diagonale du silence
qu'ai-je donc à courir dans la rue
à demander aux passants
                                                  M'avez-vous vue?
Diagonale du silence

Une femme a perdu son nom
ce petit nom
ce petit nom qu'elle avait sorti de sa valise
                                                  M'avez-vous vue?
Diagonale du silence

Juste le vent
juste le...

Une femme enroulée dans un lit d'hôpital
elle attend
Diagonale du silence
absence

absence

Une femme a crié
tant crié
lit de misère
vent de sable
                                                  M'avez-vous vue?
Diagonale du silence

silence
silence

Juste le vent
juste le...

Elle a fermé les yeux
si fort qu'ils se sont ouverts
Nuit
lumières
nuit
nuit
nuit

Il n'y avait personne

Diagonale du silence
verticale
horizontale
son nom
le mim du début
le mim de la fin,
Entre
rien
                                                  M'avez-vous vue?

Mariem mint DERWICH




jeudi 21 février 2019

Grands larges

Marin des étoiles
as-tu bu la neige blanche et la neige noire
celle du début du jour
et celle du milieu du ciel de nuit?

          la mer, la mer

Aux vents des larges
un homme rêve

je rêve aussi

Marin du bout du monde
un homme tient l'horizon encagé en ses yeux
marin des étoiles, marin de la nuit

          voile, voiles

Marin homme fils de l'homme
sur la terre de roches et de sel
as-tu endormi une femme
dans le silence blanc de l'appel de l'eau?

          la mer, la mer,

Marin des marées
donne moi l'étoile de mer
pour la rose des sables
donne moi, marin,
et le bois et les bouts
et les phares
et les oiseaux
et les nuages
et la mer soudain pluies

La mer, la mer,
pour un homme qui dort
son rêve de lointains
enroulé en ses yeux de brume

Rêve marin, rêve
dans l'opaline d'une nuit

Un homme rêve dans le sommeil d'une femme
endormie au bout d'un quai
Elle est gardienne des horizons

Là bas un marin des étoiles dort
dans le souvenir de l'eau contre la coque
et du sel sur les lèvres
Il dort

Je ferme les yeux pour qu'à ma nuit
un homme s'éveille et arpente mes rêves
J'y ai déposé le frisson de l'eau, du vent, de l'aile d'un oiseau
sur le ciel découpée

Et je lui dis :
marin au milieu des étoiles
va chercher ton nom perdu et mon nom éparpillé
homme des larges
va
va pour qu'une femme referme ses bras
et allume un phare à la fin de la terre

Tu as mon sommeil et toutes mes nuits
pour naviguer encore
encore
encore

Grands larges...

Mariem mint DERWICH












samedi 9 février 2019

La première fois...

Là bas... il y eut le premier réveil à l'heure où le ciel s'allume doucement au dessus d'une maison endormie. Entendre les cris des oiseaux, notes criardes après la ouate d'un sommeil bercé par la lumière d'un phare des confins, faisceau battant mes paupières... Nuit écoute, nuit apprentissage. Le bréviaire des sons d'une terre inconnue, l'émerveillement en cette nuit qui ouvre les fenêtres, fait de la chambre un bateau allongé entre ciel étoilé et monde qui murmure sa langue de l'obscurité. Et, toujours, ce grondement lointain, ce battement sourd qui dit la mer.
L'étrangeté de cette nuit que le jour a mis du temps à accepter... Là bas et ses jours d'été qui traînent, paresse du départ.
Sortir... Sensations pures dans la douceur d'un réveil engourdi : le vent si léger, vent métis, fils du Nord et de l'Ouest, l'humide sur la peau, le sel en odeur particulière, un peu acide, comme une gourmandise. Un soleil qui se fait étoile, nébuleuse rouge, voie lactée de feu... La peau en frissons : c'est beau la rencontre avec une terre de la fin de la terre, une frontière abolie. C'est le retour à l'avant de l'avant, l'instant étincelle, entre brume dentelle et le ciel qui s'embrase de pourpre, entre la dernière étoile et le bleu qui s'en vient... entre le cocon d'une maison blanche endormie et ce qui vient, ce qui nait, ce qui bat...
Ouvrir le chemin vert pour la première fois, tatouer les traces des pas dans ces herbes alourdies par la rosée, le mouillé sur les chevilles, le pointu, le lourd de la terre emplie d'eau et, là bas, le bruit lent et lourd de la mer...
Là bas... il y a un phare. Un phare que je dois rencontrer seule, en cette heure de création du monde.
Rédemption.
Rédemption.
J'ai marché des milliers d'années pour atteindre ce phare. Pour cet instant immobile fait de sons, d'odeurs d'eaux salées, de marées, d'algues, de mouillé, de doux, de pierres, de contes, de nuages éparses qui s'accrochent à des îles, de maisons aux toits noirs allongées sur la côte, de vent discret que l'on ne voit qu'avec la peau et le frissonné dans les cheveux...
J'ai marché des milliers d'années pour ce bout de la terre.
Je pleure. Je suis face au phare. Je suis arrivée. Je pleure.
Il est mes histoires et mes ancêtres : minaret, cathédrale. Une prière lancée au large pour que les nomades de la mer y accrochent l'étoile des voyages et des retours, le souvenir de la chaleur d'une maison, d'une tente...
Déposer ses racines. Enfin.
Nomade. Phare. Mer. Eau. Feu. Bateaux. Port.
Rédemption.
Là bas...
Et, dans ma mémoire, l'infini de ce premier matin à la rencontre d'un phare de la fin de la terre dans la splendeur d'un soleil levant...
Là bas...

Mariem mint DERWICH


jeudi 7 février 2019

Là bas la mer...

Là bas...
C'est beau la mer; c'est un destin liquide, le rappel du ventre maternel, du premier frisson de vie, l'instant où tout se crée, ce hoquet fulgurant, presque douloureux, le cordon ombilical de l'histoire de l'homme.
À la puissance, à l'absolu de l'eau la terre s'efforce d'opposer l'immobile, l'encadré de paysages noyés de regrets, la lourdeur familière de la boue sous les pieds, la sacralité des cathédrales, phares de terre qui répondent aux phares de mer, l'élan vers les nuages, doigts de pierres, mains de pierres, toits de pierres... Et les calvaires croisés lors de balades comme paroles liens entre l'eau et la terre, le mouvant et le dur, le façonné, l'âpreté des rochers et l'écume, l'homme et la femme, masculin femelle, femelle masculin. Le masculin du maçon et le féminin de la parole des prières. La douleur est femelle en ces terres mers, en ces continents métis où les noms de ceux qui ont disparu ont brodé une mémoire du bout du monde. La douleur est si femelle : elle parle aux hommes, dans la nuit infinie des prières de celles qui restent à quai, gardiennes de terres, calvaires de veuves, lampes dans la nuit, ex voto amoureux... Il faut du féminin pour garder en vie...
Aux mers il faut des fins de terres. Des fins du monde de l'homme, des fins de l'homme. Il faut recevoir les abysses et les marées pour rendre leur fragilité aux choses de l'esprit, leur éphémère, l'essentiel enfin, le silence. Recevoir ces terres d'eaux, en boire le salé, le piquant, le vent et la houle, les grands marnages et le varech, le goémon et les petits peuples qui tapissent les déserts sous l'eau, les oiseaux, le bois des coques et le chant des cordages.
Recevoir encore et encore l'émerveillement d'une avancée rocheuse dans l'eau qui gronde en vagues et ressacs absolus, noyer, se noyer, dans le battement contre la roche, l'appel des fonds... Oser lever le regard et empoigner un horizon soudain si immense qu'il devient univers, planètes étranges, silences  bruyants des étoiles mortes, anneaux et abandons...
Ouvrir une île dans le lointain - et les histoires des livres de l'enfance qui deviennent tableaux vivants, sortis des secrets sous les draps - ouvrir une île et la mer se fait féminine. Masculin féminin. Féminin masculin.
Là bas...
Là bas la mer...
Là bas...
Et un phare pour que les nuits ne soient pas qu'obscurité et peurs de l'homme dans le noir. Un phare pour que la mer écrive, enfin, les histoires vues de l'eau.
Un phare...
Là bas...Lumières....

Mariem mint Derwich