jeudi 12 janvier 2012

Je regarde M....


Je regarde M., son corps puissant tout en déliés et pleins. Je la regarde bouger, rire, bouder parfois... M. est une jeune femme, veuve trop tôt, mère...
Je regarde M. avec sa féminité et ses rondeurs. Ses hanches qui ont porté, son ventre, ses bras, son cou.
Je vois ses jambes fermes et ses sourires.
Je regarde M. et ses coquetteries de petite fille, la pudeur, parfois, du regard qui se baisse et va se poser quelque part où personne n'a le droit de cité, contrée qui ne lui appartient qu'à elle.
Que voit elle quand son regard s'enfuit ainsi? Quels rêves, quels envies, quels mondes merveilleux arpente t'elle dans la solitude de son veuvage et dans le néant des années qui vont venir ?
Quel homme imagine t'elle? Celui qui viendrait recréer sa féminité et lui offrir une nouvelle vie, elle dont le premier mari est parti trop tôt et dont elle partage le souvenir avec sa co épouse, et ses enfants restés là bas, au village...?
M. vit. M. est morte. M. est seule.
M. regarde t'elle les années qui viennent et ce temps monotone qu'elle émiettera lentement, grain après grain, dans la solitude du corps jeune qu'aucune main ne viendra caresser et faire renaître aux sentiments ?
M. a une quarantaine d'années. Elle a cette beauté timide des femmes qui ont enfanté.
Et cette solitude gravée au coin des yeux.
M. répéte tous les jours les mêmes gestes du quotidien, tapis qu'elle tisse patiemment. La patience elle connait. Depuis la plus tendre enfance on lui appris la patience. Etre femme ne se peut sans la patience.
Et les attentes, et les renoncements. Elevée, formatée, sculptée dans l'attente de l'aboutissement ultime, celui enseigné par les femmes de sa famille, le mariage, les enfants, servir un homme, son homme, enfanter....
M. a suivi le chemin qu'ont emprunté avant elle des milliers de femmes, foulant la poussière et ne regardant pas les côtés et les déviations.
M. fut, car mariée et mère. Même si elle a partagé son homme avec une autre femme ( "chez nous c'est comme ça") elle avait atteint la plénitude d'une famille nouvelle, d'un toit, d'une nouvelle identité.
Mais son homme est mort et M. est là, avec ses souvenirs et ses enfants.
Sa peine s'est atténuée et elle a repris la trame du tapis de son enfance et de son adolescence.
M. est patiente.
Et espère l'hypothétique homme bon qui voudra bien d'elle à nouveau. D'elle et de ses enfants.
Hypothétique car qui acceptera de regarder M. avec ses enfants? Qui verra en elle la femme de chair sans se refuser les bouches à nourrir? Quel homme bon verra M. comme un être humain et la prendra elle et ses enfants sans ergoter sur le coût de prendre ses enfants?
Quel homme posera un jour son corps sur le corps vivant de M. et célèbrera sa féminité et sa vie sans penser d'abord " bouches à nourrir"?
Car, chez nous, M. n'est pas seulement veuve. Elle est mère de plusieurs enfants et ceux ci, de bénédiction sont maitenant envisagés comme "coût" économique...
Terrible veuvage des femmes jeunes qui apprennent, avec la perte de leur mari, la solitude et la mort du corps et des désirs.
Je regarde M. et pleure sa féminité perdue et les siècles de solitude qui l'attendent.
Je regarde M. et touche du bout de ma mémoire ses rêves cachés.
Je regarde M. et effleure ce corps puissant veuf jusqu'au dernier souffle, arcbouté dans la moiteur des nuits où il crie sa présence.
Je pleure cette société où M., femme et mère de 5 enfants, va s'étioler et voir mourir ses désirs, s'effacer jusqu'à disparaître, annihiler ses envols....
Je regarde M. qui , parce qu'elle a 5 enfants, ne trouvera surement pas un homme qui la prenne...
Je regarde M. en agonie....
Salomé.



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