lundi 26 décembre 2016

Journal d'un bord de soi

Écrire, ne pas écrire. Dire, ne pas dire. Parler, ne pas parler. Respirer, ne pas respirer. Étrangetés que ces vies plurielles, ces bords de moi, impermanents, allers retours...
Juste le tangible, le palpable, cette écriture non écriture, qui m'est langue intime, alphabet des profondeurs.
Je m'écris, je me parle. Du plus loin que je me souvienne je me parle, face à face pétrifié entre cette femme multiple des autres et cette femme une, celle que personne ne voit jamais.
Un mur que je remonte après chaque tempête, pierre après pierre. La ténacité absurde de la fourmi quand, en moi, je vole, je suis immense.
Absurdes.
C'est ma zone de confort vital quand tout va mal, quand je suis roulée en boule, pleine de larmes, quand les bleus se voient.
Respirer quand on se noie.
J'ai posé dans mes vies mon écriture langue et la musique. La musique pour raconter, raconter à en perdre tous mes mots que mon chemin de croix est ma solitude, la seule lumière qui soit, arc boutée sur le fait d'avancer un pied après l'autre...
Se lever, s'obliger à se lever...une de mes vies m'attend. Elle est emploi du temps et ennui mortel. Elle est mauvais silences, emmurement, violences, dents serrées - " ne pleure pas, ne pleure pas"-, la rigidité du dos, la nuque tendue comme un cristal, la boule au ventre. Fermer les yeux et m'enfuir dans mon journal d'un bord de moi, celui où, enfin, je m'étale, gosse heureuse.
L'apprentissage de la douleur permanente, de la colère retenue au bord des lèvres, de ce poing dressé et fermé, celui que j'habille de rires et de théâtres, en représentation pour un public qui ne comprend pas. Que pourrait il comprendre à cela? Il n'y a rien à comprendre. Juste à regarder.
Et il y a cet homme aux yeux tristes, à qui je parle dans ma vie où je suis oiseau. Cet homme aux silences qui répondent à mes silences. Mon autre encagé, mon autre multiple, mon intersection. Il s'entend si peu que je n'entends que lui. Et à l'entendre lui je laisse mon poing se desserrer... Il me fait du bien cet homme qui m'est journal d'un bord de moi. En l'apprenant je me désapprends de tant de prisons. Il est venu en moi, il a entendu les rires et les larmes. Il a attrapé l'oiseau.
Il m'est étrange et, pourtant, si familier, comme une âme qui m'aurait accompagnée au long de mes siècles de survie. Je le reconnais en moi comme je me reconnais en lui. Semblables et si différents.
Banalités de nos vies menées chichement. La lâcheté de ceux qui ont peur. La peur de ceux qui tremblent en permanence. La peur de ceux qui sont seuls et fragiles. Se nier, s'effacer, encore et toujours, plier, porter le masque, se faire emplois du temps de l'absurde.
Que font deux solitudes et deux détresses quand elles se percutent? Elles s'aiment. Elles s'offrent. Elles s'abandonnent enfin. Elles ouvrent les bras et apprivoisent la respiration soudain faite paix et plénitude. Elles se font l'amour. Elles ouvrent leurs mains, les posent paume contre paume et le poing qui ne se referme pas.
Je l'ai reconnu mon homme des merveilles, lui à qui je parle depuis si longtemps, silhouette fragile en lisière de mes ailleurs.
M'a t'il reconnue moi? Je ne sais pas.
Et je m'en fiche. Il a fait de moi une femme, infinie, lisse. Une femme aimée. Je ne cherche pas à penser plus loin. Demain est une autre vie. Seul ce présent de plénitude importe.
Nous raccrocher aux petits gestes enfantins que s'échangent deux personnes qui s'aiment dans le moment : lui offrir RUMI, mon poème respiration, et lui m'offrir sa chanson de sa "fin de terre", là où la mer commence et ne finit pas...La rencontre entre un poète persan, mystique, qui tournoie pour l'éternité et les mots de la mer, les mots des tempêtes, les mots marins...
C'est nous et plus que nous. Ce sont nos bouches qui se cherchent. C'est cet homme devenu mien que j'inspire et qui m'expire.
Et faire de notre histoire amoureuse une musique qui brouille le regard, le remplit de larmes...
J'ai laissé ma paume à sa paume, émerveillée par cet homme mien qui ne moque pas mes fragilités. J'ai sa paume pour l'éternité contre ma paume. Je le brode dans le manque. je le brode dans sa présence permanente. Je le brode à mon oreille et au bout de mes doigts. Je lui rends la musique, celle qu'il a fait naître en moi, quand il m'a faite femme, quand il m'a invitée dans ses intimes, quand il m'a rendue à moi même, son corps comme une évidence...
Il est mon premier homme. Mon premier.
Ne rien regretter, jamais, surtout pas. Ne pas regretter la faiblesse qui nous a posé sous le regard de l'autre. Se souvenir de ces yeux qui regardent l'autre, enfin. Se souvenir et aimer ces instants magiques où nous nous sommes cherchés dans la pénombre, après tant de murmures qui nous racontaient. Quand nos mains se tournaient autour, quand nous nous sommes reconnus en l'autre.
Se souvenir de cet homme qui souffrait, qui portait tant de détresse en lui, de cet homme qui m'a murmurée, là bas, " enfin, tu me regardes en face"... Sans savoir que je le regardais, affamée, de ce regard que l'on nous apprend à nous femmes, regard de la pudeur qui voit sans regarder...
Que j'ai regardé chaque marque sur son visage, chaque expression, chaque glissement au long de ses murmures de lui.
Il m'a re dessinée lisse, non pas morceaux de moi. Il me rend belle. C'est immense. Il a la patience des gens bons et malheureux.
Je l'ai rendu heureux, moi la mal aimée, moi la mal aimante. Moi la disgracieuse...
Je l'aime mon homme d'ailleurs. Cela me suffit. Cela m'est.

MMD






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