vendredi 20 avril 2018

Lettre à Béatrix.

Il y a toujours, dans cette recherche d'une intersection, ce qui me ferait, ce qui me définirait.
Et l'écriture comme seul viatique. Non pas parce qu'écrire serait, somme toute, facile, confortable. Mais parce qu'il faut le mot posé pour que le mot dit devienne.
Aller là, tout au fond, tellement loin pour mieux revenir. Aller si loin que peut-être, un jour, on ne revient pas. Ou alors on reviendrait autre et identique, pendant du même miroir mais miroir qui aurait trouvé sa "diagonale de l'identité".
Tu connais ma quête d'un nom qui me serait propre, quête qui a occupé, "mangé" une grande partie de ma vie, ce nom qui aurait été une carte d'identité d'abord permise puis appropriée. Tu connais cela.
J'ai cherché toute ma vie. Aller plus loin, toujours plus loin, pousser le mur brique par brique, arc-boutée à la douleur, enchaînée à l'immobilité forcée d'une vie imposée et rejetée. Puis vint le temps du "rencontrer". Le temps de l'intersection. Le temps admis. Le temps.
Admettre enfin que se tenir debout n'est qu'un courage comme un autre, ni plus grand, ni plus petit. Sauf que ce Tenir debout a une saveur particulière. Qu'il n'est nul mérite à donner le coup de talon et à écraser le déni de son histoire. Mais qu'il existe un courage plus grand, plus âpre : celui du lâcher prise. L'acceptation des choses. Le recul parfois.
Admettre et accepter ces allers-retours, ce cerveau qui n'arrête pas, sa parole toujours et toujours.
Et l'écriture. Toujours l'écriture. Cette langue ne pouvant se parler qu'en poésie. Et en amour. Il faut bien que le mot soit posé pour que le mot dit devienne.
Je sais tes mots, je t'entends. Ils sont empreints de sagesse.
Mais ai-je envie d'être sage? Ai-je envie de cette solitude qui me rendrait à moi-même, enfin cicatrisée, enfin délivrée des histoires familiales? Seule la solitude, le retour à soi, aurait cette vertu?
De ces temps de pierre dont je te parlais dans ma première lettre revenir aux temps de sable. Effritement progressif du carcan mental. Et accepter. Accepter son étrangeté, accepter ces contours de soi qui flirtent avec un narcissisme malsain. Reconnaître sa faiblesse. Être forces.
Limer chaque pierre pour qu'elle redevienne poussière. Penser à l'endroit, penser à l'envers. Faire des noeuds puis les défaire.
Trouver une place, ma place. Je l'ai trouvée tu sais. Imparfaite, impuissante, mais force.
Oh il y a toujours ces temps de colère en moi, acide et acide. La barbarie avec laquelle nous nous faisons du mal n'a rien à envier aux perversités des criminels.
Il faut bien une jouissance au mal que l'on se fait non?
Et puis je suis partie à sa rencontre. Le rencontrer pour me rencontrer moi, découvrir la femme que je suis, la femelle, le cerveau, l'écriture, le ventre. Partie tellement loin que je ne reviendrai pas en arrière.
Je suis devenue sable Béatrix, ce sable qui me coule entre les doigts.
Il me fallait cette rencontre, devenir l'amoureuse et l'aimée pour, enfin, poser ma valise.
Il est de bon ton, banalité contemporaine, de dire et dire qu'il nous faut être seulement soi, en soi, pour être.
Moi je crois aux liens qui nous relient aux autres. Je crois fermement que chacun de mes gestes n'a de sens que s'il est reçu par un autre. Et ainsi de suite. Une immense chaîne qui reviendrait à son point de départ puis recommencerait.
Naïf non? Peut-être.
Dans cette individualité qui ne dit pas son nom, cette extrême solitude, pas de place pour l'autre.
Et moi j'ai besoin de l'autre. L'autre me permet mon écriture.
Je l'ai trouvé cet autre. Je l'ai sûrement chargé de toutes mes histoires. Mais j'ai aussi pris ses histoires. Et j'en construis une autre, faite de nos histoires qui se côtoient.
J'ai haï mon histoire. J'aime cette histoire nouvelle. Elle ne me permet pas. Elle me fait. La nuance est là. Pour se permettre il faudrait une autorité au-dessus de moi en moi qui dirait oui et non. Quel moi possède cet attribut? Par contre je me fais. Pas besoin de permission. Juste mon libre arbitre, tout empreint qu'il puisse être des fantômes d'avant. Mais j'ai choisi. Je ne me permets pas. Je me fais.
Et je lui permets ( la voilà cette permission, vestige enfantin de l'autorité toute puissante de la famille), à lui, de me permettre et de me faire; de m'aider en cela. Sans qu'il ait à donner plus qu'il ne le peut.
C'est ça les liens. Le "faire" et le "permettre". Je me fais, il me permet de me faire.
Alors oui, viendra le seul " je me permets". L'humain a ceci de complexe, cette animalité résiduelle, qui le ramène aux temps de l'instinct.
Béatrix crois-tu au merveilleux, aux mythes, aux consolations à la dureté du vivre?
Crois-tu que l'on puisse juste être sans douter? Douter de soi?
Je n'ai pas de réponses toutes faites et académiques. Je n'ai que ce qui tourne en ma tête, qui n'arrête pas de bavarder et avec qui j'ai appris à vivre. Appris le regard décalé, l'art du figé et du Faire Croire.
Pétrie d'ennui face aux autres.
Mourir de cet ennui. Mourir de toutes ces heures où l'on cache en soi, se cache en soi. De cette obligation au lisse, à ce que les autres peuvent accepter et à leurs limites de cette acceptation.
Sais-tu ce que c'est de vivre quand on sait ce que l'autre pense, va répondre, comment il va réagir? Sais-tu le pointu du paraître bête comme on se protégerait d'une morsure?
Sais-tu ce truc magnifique et si terrifiant pourtant qui nous rend éponge, buvard, entendant le cerveau de l'autre et le lui cachant? Sais-tu la permanence de la peur qui nous fait entendre chaque mimique, chaque tressaillement, chaque changement de ton? Et ces milliers de fois où l'on voudrait répondre et que l'on n'ose pas et où l'on tourne 7 fois sa langue dans sa bouche pour s'appliquer à la banalité de ce que l'on attend de nous? Et de faire semblant que l'on ne comprend pas? Et de tout intellectualiser? Et de tout lire? Et de tout questionner? Et de tout recevoir en ondes plus ou moins violentes? Et d'ouvrir les yeux la nuit et de reprendre une conversation en nous, éternelle, penser, penser, questions réponses? Et d'élaborer des stratégies pour être "comme les autres"? Et de taire sa bouche? Et de se taire? Et de parler pour ne rien dire juste histoire de se casser la figure et de regarder l'autre penser que l'on est bête? Vite, vite, s'auto déprécier pour rassurer l'autre...
Je sais que tu sais tout cela. Tu le vis toi même. Et tu le regardes vivre.
Puis, un jour, rencontrer une lumière et ne plus s'ennuyer. Vivre sans s'ennuyer. Vivre comme une partie de rugby où les 15 joueurs sont partitions particulières qui, mises bout à bout, donnent une symphonie. Voilà mon acceptation de ce que j'appelle mon "temps de sable" : la partition.
Il me fait, lui, il me fait.
Cette année me fut salutaire. Mon recommencement de tout. Toute cette souffrance pour qu'enfin j'accepte. Je ne dis pas Béatrix que ma "normalité" nouvelle, cet apprentissage du monde des autres, n'est pas infiniment douloureuse. Je dis juste que je me fais. Je n'aime pas le terme "normalité", tu le sais. Je ne suis pas "normale" de la "normalité sociétale". Je suis "normale" de mon anormalité, de mes histoires. Je suis "normale" de tout ce fatras qui me fait et qui est le schéma de la personne que je suis. Je suis "normale". Ironique... Normale, anormale. Drôle de zèbre... Une rayure à l'endroit, une rayure à l'envers, détricoter, tricoter. un fond blanc pour ces mailles à l'envers et ces mailles à l'endroit.
Béatrix, pour la première fois de ma vie j'ai rencontré mon "anormal normal", mon autre. Il n'est pas zèbre. Il est le fond blanc sur lequel je peux poser mes rayures. Il me fait. Je me fais.
Et j'apprends, au fil des mois, à vivre l'instant présent, à me laisser porter, à me reposer sur quelqu'un.
Je me fais dans mes mots de lui, dans son épaule sur laquelle j'ai déposé ma tête si lourde de tout ça.
Il me permet mon Faire Moi.
J'ai cherché toute ma vie cette paix. Je l'ai trouvée. Elle n'est pas parfaite. Elle n'est pas continue. Je n'y peux rien. Je ne maîtrise pas sa vie. Mais je sais, je sais une chose : il me permet une paix, fragile, profonde. Alors j'assemble ces morceaux de paix qu'il m'offre et j'en fais une écriture et moi.Une paix. La paix. Discontinue. C'est la seule limite. Je l'accepte parfois. Parfois non. Mais la paix, même en morceaux, vaut mieux que rien.
J'aime cet homme. En l'aimant et en étant aimée de lui je me fais. Acceptation de ceci. Merveilleux de ceci.
Je me fais. Et je le redessine en ce qu'il est. Voilà ma paix.
Et mon écriture redevenue intersection...
Je suis duelle : lui, moi. Et dans ce Nous où nous sommes et tout et particularités singulières, je me fais.

Mariem mint DERWICH


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